Mort programmée des élevages professionnels de petits camélidés ?

Dans sa quête avide de subsides faciles à ponctionner, notre gouvernement ne manque pas d’imagination ni de suite dans les idées, il faut bien l’avouer. Et les éleveurs de petits camélidés, peu nombreux, mal organisés et sans moyen de défense (pas de gros tracteurs à 200 000 euros pour bloquer les routes !) sont des cibles faciles (comme tant d’autres petits producteurs).

Après le passage à la TVA à 20% en juillet 2014 sur la vente de petits camélidés (règle non encore appliquée par tous les éleveurs, d’ailleurs), c’est la laine brute qui perd à son tour sa TVA à taux réduit et est taxée à 20% (loi de finances votée le 29 décembre 2015, avec sans doute 2 députés 1/2 présents dans l’hémicycle…). Les bulbes de plantes à fleur passent à 10% (on se demande pourquoi), mais la laine qui sert à l’habillement et qui connaît une concurrence énorme de l’étranger peut grimper à 20%, merci le législateur !

La hausse de la TVA sur les petits camélidés n’a pas été accompagnée d’un dispositif de protection des éleveurs, comme pour les chiens et les chats : depuis janvier 2016 toute personne qui vend des chiots ou chatons doit avoir un n° de Siret et déclarer ses revenus dès le premier animal vendu. Mais pour les camélidés, rien de ce genre ! Le marché reste en grande partie aux mains d’éleveurs amateurs ou de particuliers qui actuellement font chuter les prix de manière dramatique sans rien déclarer à quiconque. Et hélas beaucoup ne se soucient pas d’offrir un suivi sanitaire ou des garanties d’éducation et de qualité génétique de leurs animaux, d’où des problèmes croissants de santé et de comportement des animaux.

Un fait positif semblait pourtant acquis depuis 2014 : un projet d’identification obligatoire des petits camélidés. Oui mais… Au lieu de reconnaître le travail réalisé par les éleveurs sérieux et les propriétaires qui depuis des années enregistrent leurs animaux au LAREU, fichier européen très bien conçu, le gouvernement a décidé qu’il fallait un fichier franco-français, et surtout un fichier payant ! Parce que oui, le LAREU a un défaut énorme, rédhibitoire : il est gratuit ! Donc fi du LAREU et de son efficacité. Le 6 février 2016, l’arrêté est sorti : obligation à partir du 1er juillet d’identifier et d’enregistrer les petits camélidés auprès du tout beau, tout neuf et très coûteux SIRECam, fichier adossé au très très coûteux SIRE (registre équin), et ce pour un montant non encore connu, mais qui pourrait dépasser les 30, voire 40€ par animal (ou plus, qui sait)… Pour un élevage comme le mien, ça pourrait être plus de 3000€ à devoir sortir d’un coup en juillet prochain, en plein marasme économique, et alors que tous les animaux nés sur l’exploitation ont déjà un passeport acheté auprès du LAREU en complément de leur identification !

Et le comble de l’ironie, c’est que le rapport de la Cour des Comptes, sorti seulement 5 jours après l’arrêté sur l’identification des petits camélidés, tire à boulets rouges sur l’Institut Français du Cheval (dont dépend le SIRE) et sa gestion catastrophique !

La disparition d’une poignée d’éleveurs de petits camélidés passera inaperçue, ce n’est pas bien grave, en fait. Et ça libérera des terres pour la concentration en grosses unités d’exploitation si chère à la FNSEA. D’ailleurs la laine, ça ne se mange pas, et son retour en force dans l’habillement et les loisirs n’est pas pour plaire aux industriels de la chimie qui risquent de voir à terme baisser la demande en tissus synthétiques.

Et en France on ne mange pas non plus les lamas et les alpagas (bien que certains poussent à la roue pour leur consommation), leur élevage ne mérite donc pas qu’on s’y intéresse ni qu’on le soutienne ! (Dans mon cas, aucune aide, ni prime, ni conseil depuis que je suis installée, c’est comme si mon exploitation n’existait pas aux yeux de l’administration… sauf pour payer, bien sûr, là on ne m’oublie pas !).

Je voudrais bien demander en face à un député s’il accepterait que l’on change la donne en cours de son mandat, en lui sucrant 13% de son salaire (ce qui correspond à la hausse de la TVA de 7 à 20% entre 2012 et 2014 pour un éleveur) et en lui imposant de nouvelles charges écrasantes (comme le coût de l’identification revue et corrigée à la sauce IFCE)… Sauf que la comparaison ne tient pas : les revenus d’un député et d’un petit éleveur sont à des années-lumière l’un de l’autre. Matelas confortable ad vitam aeternam d’un côté, déficit quasi-permanent et précarité de l’autre… On ne joue pas dans la même cour…