LA LAINE

LA LAINE d’ALPAGA

Toison brute d’alpaga – KerLA 2020

La laine d’alpaga est une fibre haut de gamme réputée : elle est très fine, plus douce et plus résistante que la laine de mouton, et surtout beaucoup plus chaude ! Elle ne contient pas de suint (ce qui la rend agréable à travailler) et elle est hypoallergénique, c’est-à-dire non-irritante (idéale pour les personnes qui ne supportent pas le contact prolongé de la laine de mouton).

Toutes les laines d’alpaga du marché sont loin de se valoir : la qualité des toisons varie considérablement d’un animal à l’autre en fonction de sa génétique et de son âge.

Chaque toison est unique et, outre sa couleur, se caractérise par toute une série de critères, certains visuels et tactiles, d’autres analysés en laboratoire : finesse, densité, brillance, uniformité, structure, longueur des fibres, stabilité de la fibre au cours de la pousse annuelle…

Plus une fibre est fine, plus elle résulte d’un travail de sélection… et plus la toison s’allège : une toison à 40 microns pèse, à nombre de poils égal, 2 ou 3 fois plus lourd qu’une toison en super royal baby. Mais comme la plupart des gens vendent et achètent les toisons au kilo sans souci de qualité, la toison grossière rapportera 2 ou 3 fois plus à son vendeur… Il suffit de consulter les annonces : on propose « de l’alpaga » au poids. Quasiment jamais de mention de qualité, encore moins d’analyse de fibre (qui devrait pourtant accompagner toute vente). Où est la logique ? Où est la reconnaissance du travail de l’éleveur ?

Le travail de l’éleveur sérieux est d’investir dans des animaux de qualité, coûteux, pour réaliser les croisements qui permettront d’obtenir une toison toujours plus fine, dense et uniforme, et surtout avec une durabilité de ces qualités au long de la vie de l’animal, pas seulement sur ses premières tontes.

L’analyse de fibre annuelle systématique, encore bien peu utilisée, est l’outil indispensable pour assurer le suivi.


Fibre alpaga

Fibre de Olympe de KerLA – alpaga huacaya grise – 2017

La fibre d’alpaga HUACAYA pousse perpendiculaire au corps.

Elle doit être fine, brillante, avec du crimp (belle ondulation naturelle  régulière), uniforme dans sa finesse et dans sa répartition sur le corps, avec une bonne densité et le moins de poils de garde possible (longs poils plus épais).

Mèches alpaga suri

Mèches de ZINCALA, alpaga suri gris-rose – élevage KerLA – 2017

Chez l’alpaga SURI, la fibre forme des mèches bien distinctes qui prennent naissance au plus près de la peau et doivent être denses, fines et lustrées.
Plus lisse et plus délicat à filer que le huacaya, le suri est une fibre d’exception.. Il est préférable de la peigner plutôt que de la carder pour bien la valoriser.

Nappes de fibres huacaya et suri mélangées au cardage

Le suri se marie très bien avec la soie, qui l’allège et intensifie son lustre.
Les fibres HUACAYA et SURI peuvent être mélangées au cardage, pour un rendu étonnant au filage.

 

 

LES TEINTES NATURELLES :

La laine d’alpaga disponible dans le commerce et issue de filière industrielle est le plus souvent de la laine blanche qui a été teintée. D’ailleurs pendant longtemps la sélection s’est faite uniquement sur les animaux blancs, le travail des éleveurs sur l’amélioration des toisons de couleurs est récent. 

Pourtant il existe une palette de 22 teintes naturelles officielles chez l’alpaga ! Cette palette a récemment été réduite à 16 teintes pour faciliter l’identification des robes et la commercialisation des fibres :

LA TRANSFORMATION  DE LA FIBRE :

Actuellement hélas les prix de vente pratiqués en France, pour les toisons comme pour les écheveaux et pelotes, sont beaucoup trop bas pour pouvoir valoriser correctement cette fibre exceptionnelle dans une filière française respectueuse des animaux et de la matière.

Pour beaucoup d’éleveurs encore, la valeur réside dans l’alpaga beaucoup plus que dans sa fibre, dont la vente souvent permet parfois tout juste de payer le tondeur.
Certains éleveurs font le choix absurde de vendre leurs toisons brutes au plus vite après la tonte, à prix bas, et d’écouler en boutique des laines importées, qui leur reviennent beaucoup moins cher que s’ils avaient fait transformer leurs toisons ! On marche sur la tête 🙁 

D’autant que parfois en boutique ces laines importées sont déclarées issues de leurs propres animaux…  Mensonge éhonté, tromperie du client : seule une micro-filature permet de récupérer la toison de ses propres animaux, et quand on connaît le prix de transformation d’une toison en micro-filature, c’est facile de comprendre que les écheveaux et pelotes bradés en boutique NE PEUVENT PAS être issues de leurs propres toisons !

Ça s’appelle casser le marché, dévaloriser sa propre production, étrangler la possibilité de créer une filière laine viable à moyen et long terme… C’est incompréhensible !
Et ces mêmes éleveurs qui sabotent la valorisation de leurs propres laines vendent cher leurs alpagas d’élite, justifiant les prix élevés des reproducteurs par l’argument ahurissant… qu’ils ont une toison d’exception !!!
Comprenne qui pourra 🙁

Ces prix de vente bas affichés par certains éleveurs et particuliers, associés aux importations à bas prix d’Amérique latine, et désormais de Turquie et de Chine, devenus gros producteurs ces dernières années (imaginez le bien-être animal dans ces pays) alimentent l’idée largement répandue que l’alpaga est une très belle fibre, une matière noble, MAIS que ce n’est pas une fibre coûteuse et qu’elle doit se négocier à petit prix : il suffit de suivre les forums liés à la laine sur les réseaux sociaux pour s’en rendre compte.

Quelle différence avec la filière du mohair (chèvre angora) qui a su s’organiser autour de la matière noble produite et en faire vivre ses producteurs par une valorisation réelle de la fibre, avec des prix de vente qui correspondent au coût de revient et rémunèrent le travail des éleveurs.

Ce mépris pour la valorisation de la fibre d’alpaga s’explique par le fait que, hors Amérique latine, l’alpaga a d’abord été un ‘produit’ de luxe en tant qu’animal : il y a seulement une douzaine d’années, un alpaga de qualité médiocre se négociait à des prix élevés… Quel éleveur allait s’embarrasser à transformer sa toison pour gagner quelques euros ? On ne tondait que par obligation pour la santé de l’alpaga, et même si la toison jouait un rôle important pour l’esthétique et l’appréciation de l’animal en concours, une fois tondue elle encombrait : on l’envoyait dans une filière industrielle, sinon on la stockait dans des greniers ou on s’en débarrassait à bas prix (quand on ne la brûlait pas !).

Les temps ont changé, les prix moyens des alpagas ont fortement baissé,sont même devenus souvent trop bas pour faire vivre un élevage, alors la fibre suscite un regain d’intérêt depuis quelques années. Mais pourtant la réflexion sur sa nécessaire mise en valeur n’évolue que très lentement.
Comment est-ce possible que nombre d’éleveurs ne fassent toujours pas d’analyse systématique annuelle de la fibre de leurs alpagas ? Qu’ils continuent à brader leurs toisons brutes et vendent des reproducteurs sans évaluer correctement la qualité de leur fibre ?

Alors comment valoriser ses toisons ?

Pour simplifier, on peut dire qu’il y a actuellement 4 filières pour la transformation des toisons d’alpaga.

Chaque éleveur a ses propres critères de fonctionnement, et son choix d’utiliser l’une ou l’autre filière est tout à fait respectable. Toutefois, par correction vis-à-vis du client acheteur de laines, il faudrait un peu de transparence sur les laines d’alpaga vendues dans les boutiques de chacun : provenance et qualité des fibres, lieu et mode de transformation… Vendre comme ‘laines françaises’ ou ‘alpaga de notre élevage’, sans autre précision, des fibres transformées industriellement à l’étranger et mélangées à des toisons de toutes origines, est-ce éthique ?

La filière Alpalaine :

Depuis longtemps, des éleveurs français d’alpagas regroupent leur production au sein d’une association appelée Alpalaine, pour la faire transformer en Italie : ils récupèrent ensuite des pelotes ou des produits tricotés standardisés, pour un coût qui leur permet de faire une bonne marge tout en vendant à prix bas… Mais leurs produits ne viennent pas de leurs propres toisons, il n’y a aucune traçabilité possible, et le traitement industriel ne préserve pas toutes les qualités de la fibre. Pour moi c’est une manière de valoriser une production annuelle de toisons de qualité moyenne, certes, mais qui ne permet pas de valoriser l’alpaga pour la fibre de luxe qu’il est, ni de pousser à l’amélioration génétique des toisons, puisque le poids de la toison est le seul et unique critère pris en compte 🙁 

La filière ARSEN :

Née en 2018, l’association ARSEN, a entrepris de lancer une filière laine d’alpaga 100% française. Les adhérents (particuliers et éleveurs) se réunissent pour trier leurs toisons, les regrouper par couleurs et par catégorie (catégorie 1 jusqu’à 24µ, et catégorie 2 au-dessus de 24µ). La transformation est assurée dans des entreprises françaises, pour un coût nettement inférieur à celui d’une micro-filature.

Outre la naissance bienvenue d’une filière française, cette initiative peut certainement inciter davantage les éleveurs à valoriser leurs toisons et à chercher à les améliorer. Mais là encore l’éleveur qui produit des fibres ultra-fines n’a aucun intérêt à participer à cette production groupée : ses toisons de 16 ou 17µ se trouvant mélangées à des fibres de 22-24µ, il récupère un fil qui ne reflète pas la qualité de ses animaux, et en plus les toisons très fines étant plus légères à densité égale que les toisons plus grossières, il est perdant dans l’échange toison brute/laine filée !

Il faudrait que les toisons de qualité supérieure soient réellement mises en valeur par la suite au sein de cette filière, peut-être avec la création d’une catégorie supplémentaire réservée aux toisons de moins de 20µ, par exemple. Mais pour cela il faut une quantité suffisante à l’échelle du territoire, et il faudrait une volonté de faire de la laine une activité rentable pour l’éleveur, pas juste l’utilisation d’un sous-produit des alpagas !

Pour cela, à mon humble avis, il faudrait surtout que cette filière ne brandisse pas comme objectif d’avoir des coûts de transformation réduits afin de vendre les laines obtenues au prix le plus bas possible !
Des coûts de transformation bas devraient permettre aux éleveurs de dégager une marge plus signifiante et ainsi insuffler un vrai dynamisme à la filière (je reprends l’exemple du mohair), ce qui encouragerait les nouveaux éleveurs à s’installer en alpagas pour produire une laine de qualité, pas juste pour faire des visites pédagogiques et de la production d’animaux de loisir.
Je donne ici un avis personnel de productrice de laine de qualité impactée par cette situation : le prix auquel ARSEN propose à la vente publique ses cônes après transformation est insultant pour les éleveurs, ne peut que casser la filière, et représente même une concurrence déloyale pour les professionnels déclarés.

La filière des micro-filatures françaises :

Les micro-filatures artisanales (Belfast Mini Mills, créées par une société canadienne) se sont développées en Europe depuis une vingtaine d’années.
La France en compte désormais 5 (dans les départements du Nord, Gironde, Côtes d’Armor et Corrèze et Allier).

Ces micro-filatures travaillent toison par toison (lots de 1 à 4kg) et donc garantissent aux éleveurs soucieux de traçabilité de récupérer les fils issus de leur propre production, avec identification des animaux producteurs. De plus ces filatures travaillent sans traitement chimique et avec des contraintes mécaniques faibles : l’intégrité de la fibre et respectée et donc la durabilité des laines beaucoup plus grande que dans la transformation industrielle.

L’alpaga, fibre de luxe, mérite bien ce traitement privilégié (du moins les toisons de qualité), mais évidemment les coûts de transformation sont beaucoup plus élevés qu’en transformation industrielle ! Il faut donc que le consommateur accepte de payer plus cher pour avoir un produit de qualité, français, identifié et traçable.

La transformation manuelle au rouet :

Le travail manuel de la fibre est en plein boom en France, et c’est réjouissant. Activité ancestrale, le filage (au fuseau ou au rouet) retrouve ses lettres de noblesse, et les fibres de qualité sont enfin propulsées à la lumière.

Filer implique d’apprendre à connaître la fibre, sa structure, ses qualités intrinsèques… A lire des analyses de fibre, à sélectionner des toisons de qualité, à préférer la qualité à la quantité !
La personne qui file, en amatrice éclairée ou en professionnelle, sait qu’une toison de grande qualité, très fine et crimpée, coûte cher, mais qu’elle donnera un fil exceptionnel et unique…
Le prix d’un écheveau filé main est évidemment supérieur à celui d’un écheveau de filature, et plus encore à celui d’un écheveau produit industriellement, mais c’est un produit original et unique, et infiniment plus résistant dans le temps.

Pour ma part si j’envoie encore une partie de ma production en micro-filature française, faute de temps pour tout filer moi-même, j’essaie désormais d’écouler beaucoup de mes toisons sous forme de fibres brutes triées, de nappes cardées, ou d’écheveaux filés à la main.

Je vous invite à découvrir les étapes du travail de la laine, du tri de la toison à la pelote, dans les pages ci-dessous :

Articles récents

Brainstorming

Plus de 2 mois sans écrire d’article pour ce blog, une fois encore… La période estivale est rarement propice à passer du temps sur l’ordinateur : seule sur la ferme, j’ai beaucoup trop d’occupations à l’extérieur et avec les animaux du matin au soir…
Mais là, nous ne sommes même pas à fin septembre, et déjà la mauvaise saison pointe son nez, avec pluies intenses et rafales de vent, interdisant certaines activités extérieures…
Où est donc passé l’été ? Il a plu jusqu’à fin juillet (jamais je n’avais fait les foins aussi tard), août a été plus que mitigé avec des variations de temps ahurissantes, et septembre part à l’automne avant la date… La végétation n’a pas arrêté de pousser cette année, et comme je n’utilise absolument aucun traitement sur la ferme, je n’ai pas réussi à suivre pour l’entretien : la cour et les alentours sont envahis d’herbes folles, difficile dans ces conditions de conserver un aspect clean et accueillant pour les visiteurs. Mais je dois l’accepter, je n’ai de toutes façons pas le matériel, le temps et encore moins l’aide suffisante pour remédier à ces détails qui sont bien secondaires au regard des soucis d’élevage.

Cette saison a été compliquée, dans le fil d’une année 2024 pluvieuse et problématique à bien des niveaux. Ces dernières semaines m’ont conduite à un grand brainstorming.
Beaucoup de questions et de remises en cause en cette fin d’été…

Je me suis installée sur cette ferme quasiment à l’abandon début 2012. J’ai développé pas à pas, et seule, un élevage qui tient à peu près la route, me semble-t-il. Mais après bientôt 13 ans, beaucoup de travail, des joies et des satisfactions, mais aussi énormément de soucis, de fatigue et de déconvenues, je me retrouve plongée dans une profonde remise en cause en cet automne 2024.
Je  sais depuis longtemps que je ne suis plus trop en phase avec cette société, c’était le moteur profond de ma volonté de réorientation depuis les années 2000. J’ai adopté un mode de vie qui me convient, qui me permet de prendre la distance dont j’ai besoin, au fin fond de la campagne, avec mes animaux, tout en conservant des contacts sociaux et le goût de transmettre à travers l’accueil des clients, les visites et les formations.
Que rêver de plus ?
Peut-être une famille qui s’intéresse à ce que je fais ? Bon, ça j’ai compris que je devais en faire mon deuil.
Peut-être un environnement cordial et un bon relationnel en local pour me sentir moins seule ? Bon, ça aussi j’ai compris aussi au fil du temps que c’était un voeu pieux, et j’ai appris à faire sans, par force…
Peut-être une reconnaissance de la réalité de mon travail ? C’est là que le bât blesse vraiment, et de plus en plus. J’ai hélas choisi un élevage totalement à la marge du monde agricole, souvent mal vu et bizarrement parfois envié par ce même monde agricole : si une femme seule réussit à se débrouiller pendant tant d’années, sans aucune aide en local, c’est forcément que ça rapporte bien sans trop d’efforts, ces drôles de bestioles – on me l’a sorti plus d’une fois, ce couplet !
S’ils savaient, les envieux, la réalité de mon mode de vie et les sacrifices que ça représente ! Aucune sortie, pas un jour de vacances depuis 2012. Aucune dépense hors exigences de l’exploitation : loisirs, vêtements, meubles, exit le superflu, on reste sur l’essentiel et la récup au maximum, ma voiture est de 2001, mon tracteur de 1965, je n’ai pu acheter aucun gros outillage neuf ni même d’occasion récente pour faire tourner ma ferme : tout mon équipement et outillage est antérieur à mon installation, j’ai investi toutes mes économies – à perte – dans cette ferme pour la rendre viable… Je n’ai pas de primes PAC pour acheter du matériel tous les ans. C’est à la cloche que j’enfonce mes piquets de clôture, avec un treuil manuel que je tire mon grillage, à la pioche que je creuse des trous, je fabrique moi-même mes barrières avec des lattes de bois, j’aménage mes écuries moi-même pour réduire les coûts…
Venez voir ma maison et vous comprendrez. Tous les travaux intérieurs y sont interrompus depuis plusieurs années, faute de moyens, je n’ai même pas de chauffage autre que mon poêle à bois, la température en hiver dès qu’on s’en éloigne se situe entre 12 et 13°, voire moins encore dans certaines pièces. Je ne peux accueillir personne chez moi en hiver, il y fait trop froid !

Pourtant on m’a dit encore, il y a peu, que « j’ai de la chance, j’ai des animaux qui se vendent cher », et quelqu’un de bien intentionné m’avait affirmé que « étant donné la plus-value que je fais sur mes animaux, je n’ai pas besoin d’aides PAC ».
Quelle est leur référence : le prix d’un mouton ou d’une chèvre ?
Quand je vends un mâle castré de 2 ans, son prix oscille entre 1200 et 1500€HT (les mâles castrés ont constitué l’essentiel de mes ventes cette année). Alors oui, c’est nettement plus cher qu’une chèvre, mais il faut connaître les coûts de revient de ce type d’élevage pour pouvoir juger. Il faut comparer ce qui est comparable !
Ce jeune mâle vendu castré à 2 ans, il est venu au monde après presque un an de gestation, il a fallu acheter et entretenir des parents aux bonnes origines (donc pas achetés 300€ sur le Bon Coin), puis il a nécessité 2 ans d’entretien soigné, de prises de risque et de travail (pour l’anecdote, les aliments spécifiques achetés en Belgique, c’est 5000HT€/an dans mon budget d’élevage, l’équivalent du prix de vente de 4 mâles castrés). Ajoutons les séances ostéo pour garantir l’intégrité de l’alpaga, les copros régulières, les vermifuges et les compléments adaptés, les vaccins, le suivi véto, l’adaptation permanente des infrastructures pour un meilleur bien-être des animaux ; le temps consacré à l’éducation, et bien sûr le coût de la castration, de l’identification, du certificat vétérinaire de santé… Au final il ne reste pas ou très peu de marge sur de tels prix de vente ! Pour peu qu’il y ait eu le moindre souci de santé pour la mère ou le jeune, ou qu’il y ait eu besoin du véto à la mise-bas, on plonge largement en-dessous du prix de revient !
Oui de temps en temps je vais réussir à vendre un très bon reproducteur, mâle ou femelle, à un prix plus élevé qui va me permettre d’amortir un peu les pertes et de lisser les coûts d’exploitation pour éviter le déficit, mais c’est toujours aléatoire, c’est être en permanence sur la corde raide… « I walk the line », comme diraient les fans de Johnny… Cash…
Je n’ai pas 150 naissances dans l’année : j’en ai entre 15 et 20. Alors faites le calcul du revenu possible à l’année avec en moyenne 60% de crias mâles (80% même cette année), dont 9 sur 10 sont vendus castrés… Avec le pourcentage de pertes inévitable, la relève du cheptel à assurer, vous croyez vraiment que le chiffre d’affaire annuel peut être faramineux ?
Et là dessus venez greffer les charges fixes et les frais incontournables (aliments, véto, assurances, entretien des animaux improductifs, des infrastructures, frais administratifs d’élevage….). Il ne reste pas grand chose, croyez-moi.

Et la situation se complique de plus en plus depuis quelques années, car le marché est inondé d’alpagas à bas prix (en « don gratuit », même, par centaines sur le Bon Coin !) produits n’importe comment par une multitude de nouveaux acteurs qui souvent n’y connaissent pas grand chose, font naître « juste pour le plaisir », dans des conditions inadaptées aux besoins fondamentaux des alpagas, ou importent des pays de l’Est (une véritable filière de maquignons qui revendent en France des animaux importés à bas prix s’est mise en place, c’est à vomir).
Le rôle dévolu à l’éleveur sérieux aujourd’hui en France ? Simple standard téléphonique pour dispenser des conseils gratuits aux acheteurs de ces pauvres alpagas produits et vendus n’importe comment : au bout de quelques semaines ou de quelques mois, quand les soucis arrivent, que ces pauvres animaux commencent à tomber malades ou même à mourir, on se tourne vers les éleveurs pour avoir des infos et des conseils, parce que eux, ils savent, c’est leur métier, ils DOIVENT répondre et donner de leur temps, s’ils aiment vraiment les animaux (et les insultes fusent si on a le malheur de faire une remarque sur l’inconséquence des gens).
Non, notre métier n’est pas de dispenser gratuitement, à toute heure et sans limite des conseils à tous ceux qui ont acheté un alpaga comme on achète un objet de décoration chez Ikéa, « parce que c’est mignon », ou parce que « mon fils de 4 ans en rêvait »…
Notre travail, ce n’est pas de faire le suivi après-vente à la place des vendeurs abrutis et des maquignons qui ferment la porte dès la vente réalisée !
Oui, on aime nos animaux, et c’est pourquoi on ne veut pas, en faisant le travail de ces vendeurs véreux à leur place, faire perdurer ces odieux trafics : quand quelqu’un nous appelle parce qu’il vient d’acheter un alpaga à un cirque « pour lui sauver la vie », il faut lui dire en face qu’il n’a pas sauvé la vie d’un animal, bien au contraire, il a participé activement à ce vaste trafic en étant client, et l’alpaga est déjà remplacé par deux autres pour alpaguer les prochains bons samaritains prêts à se faire avoir ! C’est une chaîne sans fin, ce n’est qu’en refusant d’y participer que ce trafic pourra s’arrêter (exactement comme pour les autres animaux domestiques). Et il faut dénoncer les agissements de ces trafiquants pourris.
A ce rythme, il n’y en aura bientôt plus, des éleveurs sérieux, du moins ceux qui ont choisi de consacrer leur vie professionnelle à leur animaux : parce que nous n’aurons plus de clients pour nous permettre d’assumer nos charges et nos coûts d’exploitation, et nous devrons mettre la clé sous la porte quand nous n’avons que notre élevage et notre bonne volonté pour vivre !
Notre travail, c’est de faire naître et d’élever de bons animaux sains et équilibrés, de les éduquer et de les vendre en confiance, de bien conseiller et former les acheteurs s’ils sont néophytes, et d’assurer le suivi de NOS animaux vendus.
Je n’ai jamais refusé de répondre, par mail ou par téléphone, à une demande d’aide urgente, quand la vie d’un animal est en jeu. Mais ça se répète encore et encore, toujours ces mêmes situations de problèmes récurrents suite à des achats à prix bas à des vendeurs pourris.
Des acheteurs qui s’en mordent les doigts, qui réclament (voire exigent) de l’aide, qui voudraient même qu’on les plaigne d’avoir d’avoir été floués… Alors non, désolée, dans la plupart des cas vous n’avez pas été floués ! Dans la plupart des cas, vous avez fermé les yeux sur la réalité juste parce que vous vouliez faire une bonne affaire : un alpaga à bas prix, deux voire trois fois moins cher que chez un éleveur, c’est top ! Dans la plupart des cas vous n’avez pas cherché à vous informer correctement, avant d’acheter, sur les besoins particuliers de ces animaux, sur les exigences de leur détention, sur les risques… Les informations en ligne ne manquent pas sur les sites des associations ou des élevages, nul n’a le droit de dire à l’heure actuelle « on ne savait pas ».
Régulièrement, j’ai des demandes d’achat d’animaux, il y a le pire et le meilleur, bien sûr. Mais de plus en plus souvent le pire, à cause de la mode de l’alpaga vu comme une peluche, et hélas de la bêtise humaine. Parfois même la demande commence par « on a lu attentivement les infos que vous donnez sur votre site », pour une entrée en matière sympa… et juste après, on me dit qu’on veut « un alpaga pour mettre avec 3 chèvres dans 1500m² »… Ou qu’on veut « une femelle pour mettre avec les 3 mâles du voisin pour avoir un petit, parce qu’on adore les bébés animaux »… (ces deux exemples sont véridiques).
Je réponds patiemment, je prends le temps, au téléphone, d’expliquer ce qu’il en est (parfois on me raccroche au nez en me disant qu’on va trouver un vendeur moins con – c’est-à-dire plus conciliant), ou j’écris un mail détaillé… auquel on ne me répondra pas, le plus souvent, parce que ce que je dis n’est pas du tout ce que les gens veulent entendre !…

C’est démoralisant de constater à quel point la notion de bien-être animal est à géométrie variable. Avoir des animaux, quels qu’il soient, c’est avant tout bien s’informer sur eux pour respecter leurs besoins fondamentaux et leur nature, et pas les modeler pour en faire ce que nous voudrions qu’ils soient. Trop de gens veulent des animaux soit pour flatter leur ego (on le voit avec certaines races de chiens), soit pour amuser les enfants (et ça avec les alpagas c’est drapeau rouge immédiat), soit par pur anthropomorphisme (et ça c’est un mal de société grandissant, l’animal remède au mal-être… que l’on rend malheureux à son tour).

Bref tout ça se mélange dans mon brainstorming pour arriver à une conclusion évidente : je n’ai plus envie de faire naître des alpagas, du moins pour les vendre.
L’avenir des alpagas en France est à mon avis bien sombre, à moins que les vrais éleveurs réussissent enfin à faire sauter leurs dissensions, mettent un mouchoir sur leurs egos et leurs conflits de personnes pour faire avancer la cause commune dans le sens du respect de cet animal si particulier.
Mais on en est loin, et moi je n’ai plus que quelques années avant la retraite, j’en ai marre de travailler en vain à faire passer un message et à avoir une éthique qui me fait refuser 9 ventes sur 10, et qui fait ricaner tous ceux qui vendent à tour de bras sans se soucier du devenir de leurs animaux.

J’ai donc décidé de réorienter mon activité différemment pour les années à venir.
Je vais (à contrecoeur) me séparer de la plus grande partie de mes femelles reproductrices dans les 18 mois qui viennent. Je garderai mes chouchoutes, et toutes mes « vieilles » de plus de 8 ans, qui auront une retraite précoce bien méritée.
Les quelques crias que je ferai naître à l’avenir ne partiront que chez des personnes de confiance, ou resteront avec moi.
Je suis en train de me constituer le troupeau de mâles de belle qualité, la plupart castrés, dont je rêvais depuis mes débuts, qui sera mon fournisseur de belle fibre pour l’intensification de mon activité de production de belle laine filée main et d’articles tricotés.
Je vais développer les visites, avec des formes nouvelles et plus interactives dans la manipulation et la connaissance des animaux, et bien sûr continuer les formations pour oeuvrer à la diffusion des bonnes pratiques concernant les petits camélidés.
Et peut-être (peut-être) irai-je développer ce nouveau projet ailleurs… Mais là rien n’est encore défini.

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