Nouvelles d’automne

L’automne 2020 est le reflet du reste de cette année bien tristounette : des hauts et des bas, de la joie et des larmes…

J’espérais en avoir fini avec les mise-bas difficiles, je pensais avoir déjà bien donné cette saison, mais le sort, lui, n’en avait pas terminé avec moi : il lui fallait s’acharner jusqu’au bout, peut-être pour me faire payer la bonne cuvée 2019…

SULTAN de KerLA, né le 7 septembre 2020

Les 3 dernières naissances, en septembre, devaient être une fête, avec l’arrivée de 3 crias du magnifique Snowmass Royal Starz…

Hélas, si j’ai bien eu un superbe mâle light fawn né de ma belle Looby Loo, et prénommé SULTAN, les deux autres naissances ont été dramatiques, avec deux problèmes rarissimes, totalement imprévisibles et éprouvants.

Le 4 septembre, ma Kokine donnait naissance à son 5e cria, une très belle petite femelle, portrait craché de maman, à la fibre exceptionnelle. Quelques secondes de joie seulement, parce que juste après la naissance j’ai réalisé, en inspectant la petite, qu’elle était née sans anus. Atrésie anale. En plus de 160 naissances sur l’élevage, je n’avais jamais eu une seule malformation d’aucune sorte. J’ai dû regarder plus de 10 fois avant d’accepter la réalité.

KOKINE avec sa petite SHANELLE, un bref moment de bonheur.

La petite Shanelle était un amour, vive et enjouée malgré son handicap. Elle excrétait ses fèces par une fistule dans le vagin, mais ce n’était pas viable. A 4 jours, mon super vétérinaire a accepté de tenter la chirurgie pour créer un anus et raccorder le rectum. L’opération a réussi… mais a duré longtemps, et hélas la petite Shanelle ne s’est jamais réveillée de l’anesthésie.

Je n’oublierai pas cette petite merveille. C’est vraiment trop injuste, pour moi, et pour Kokine qui a eu du mal à s’en remettre.

Et alors que je pensais en avoir terminé avec les problèmes, en cette saison où j’avais eu tout ce qui peut arriver avant, pendant et après une mise-bas, je ne me doutais pas de l’horreur qui m’attendait pour la dernière naissance de l’année… Qui NOUS attendait, devrais-je dire, parce qu’en plus il a fallu que cette naissance se passe un dimanche, au beau milieu d’un stage de 2 jours sur la découverte de l’élevage d’alpagas, avec 7 participants… qui ont pris de plein fouet l’aspect parfois éprouvant du métier d’éleveur, mais m’ont aussi donné un formidable coup de main dans ces moments terribles.

Lightfoot ALISA (alias PATIENCE)

La dernière à mettre bas, c’était ma douce et gentille ALISA (alias Patience), un amour d’alpaga âgée de seulement 13 ans, mais qui avait sans doute été exploitée comme tant d’autres par des éleveurs sans scrupules qui font saillir leurs jeunes femelles dès l’âge de 12 mois, réduisant leur espérance de vie… Patience, arrivée chez moi en 2017, m’avait donné des signes de fatigue pendant cette dernière gestation, et je lui avais promis la retraite après ce dernier cria… Hélas elle n’en profitera pas.

Le soir précédant la mise-bas, elle a refusé de manger sa ration et s’est mise à gémir régulièrement. En l’absence d’autre signe (notamment de position antalgique pour se coucher, et elle mangeait son foin calmement), j’ai pensé que cela annonçait une naissance imminente. Je me suis levée toutes les 2 heures pour aller la voir dans la nuit, mais pas d’autre signe que ces petits gémissements, qui ont disparu sur le matin quand je l’ai remise avec les autres femelles pour la mise-bas. Vers 11h le travail est devenu visible, elle a commencé à dilater, tout à fait normalement.

Comme le temps passait sans progrès, j’ai entrepris de la fouiller, et là, le moment glaçant que tous les éleveurs redoutent : un cria se présentant par le siège, en position ventrale. Je sentais bien la pointe des fesses, les deux jarrets, très bas dans le ventre. Et encore plus inquiétante, une masse visqueuse qui fuyait sous mes doigts derrière le col. J’ai pensé au placenta qui sortait en premier, ce qui arrive avec les présentations par le siège, pourtant la sensation était tout autre. Mais pas un instant je n’ai imaginé l’horrible réalité.

Il fallait décider très vite. La plupart du temps lors d’un siège les crias naissent sans vie, à cause du délai d’intervention (alors un dimanche, n’en parlons pas…). J’avais de l’aide autour de moi (les stagiaires, stupéfaits par la tournure prise par les événements). Et notamment Lise, une ostéo animalière… J’ai pris la décision de sortir le cria, d’aller chercher une patte après l’autre, la déplier, pendant que Lise repoussait le cria vers l’avant pour que je puisse manoeuvrer. Cela a pris un temps infini, je sentais qu’à l’intérieur il y avait quelque chose de totalement anormal, beaucoup de sang, mais je ne pouvais plus reculer.

Nous avons eu la chance de sortir un cria vivant. Oh, à peine vivant, il a fallu masser pour la ranimer, la suspendre longuement pour lui faire cracher le sang et les liquides inhalés. Plusieurs stagiaires se sont relayés pour s’en occuper, et la réchauffer avec serviettes et sèche-cheveux, pendant que je retournais m’occuper de Patience.

Ma pauvre Patience. Ce dont elle souffrait si stoïquement depuis la veille, c’était une éventration, causée in utero par les mouvements du cria. Sans doute, d’après le véto, dans un contexte de torsion utérine qui avait empêché le cria de se mettre en bonne position. Ses intestins s’étaient répandus dans la cavité utérine depuis la veille 🙁

Le vétérinaire de garde, secondé par plusieurs stagiaires qui se sont improvisés auxiliaires vétérinaires, a effectué une laparotomie pour recoudre le mésentère déchiré et la paroi utérine. Mais malgré le succès de l’opération la couleur violacée de certaines anses intestinales laissait peu d’espoir : entre péritonite avancée et choc opératoire, l’espoir était ténu pour ma courageuse Patience.

Et en effet Patience s’est éteinte le soir même, à 21h30, non sans s’être levée, avoir bu et être allée au contact de sa petite qu’elle a longuement sentie avant de partir brutalement après de brèves convulsions.

Garder en vie la petite de Patience, prénommée SHAMANE, a été un challenge pendant les 15 premiers jours : infection respiratoire et problèmes digestifs cumulés, elle a crashé le 5e jour et j’ai bien cru que c’était la fin. Mais avec l’aide de mon véto, le soutien et les conseils des amis, on a défié le sort, et on s’accroche : elle va s’en sortir la belle, pour mettre fin à cette spirale infernale ! On y croit !