La castration des mâles

CASTRER SES ALPAGAS et LAMAS MÂLES NON-REPRODUCTEURS

@Christel CHIPON – texte et photos
Article écrit en juin 2024 pour le magazine de l’AFLA (édition de juillet 2024)


Castration debout sous sédation et anesthésie locale – KerLA avril 2024

Castrer est une décision salutaire pour le bien-être des animaux et, ne nous voilons pas la face, pour le devenir de la filière professionnelle des petits camélidés

Le principe de castrer les mâles non reproducteurs est parfaitement admis et pratiqué dans le monde équin (et de plus en plus dans le monde canin et félin), mais dans le domaine des petits camélidés, c’est une page encore bien blanche…
Très peu d’éleveurs pratiquent la castration systématique des mâles vendus pour le loisir, et très peu d’acheteurs demandent spécifiquement des mâles castrés, par méconnaissance et par méfiance (un animal castré est encore souvent vu comme un « mauvais » animal)
Ajoutons aussi que peu de vétérinaires y sont sensibilisés, et que souvent les tarifs de castration annoncés découragent les bonnes volontés. Il faut que cette vision évolue

Pourquoi castrer ?

Le bon sens et le souci du bien-être animal imposent d’écarter d’office de la reproduction certaines catégories de mâles :
 – mâle porteur d’un défaut génétique (problème de conformation, aplombs, dentition…)
– mâle au caractère compliqué (transmis par certaines lignées)
– mâle ingérable avec les autres entiers
– mâle imprégné (attention, la castration peut atténuer les problèmes d’imprégnation, mais elle ne les résout pas, ou seulement partiellement. Castrer reste cependant une première étape indispensable en cas de doute)

Mais, plus largement, tout mâle non destiné spécifiquement à la reproduction chez un éleveur devrait être castré, même s’il est de qualité : le nombre de reproducteurs nécessaire est très inférieur au nombre de mâle potentiellement reproducteurs !

  • pour avoir des animaux de loisir calmes en toutes circonstances, bien dans leur tête, ou des animaux de médiation maniables et sereins : parce que une fois adulte les mâles entiers vivant en duo ou en trio (qui sont les cas les plus fréquents chez les particuliers) peuvent devenir pénibles entre eux, voire agressifs, alors que les mâles castrés sont en principe d’humeur plus égale et sans comportement territorial.
    Certes le nombre dilue en général l’agressivité, et il arrive que deux entiers s’entendent très bien toute leur vie, mais tout le monde ne peut pas avoir un groupe de 7 ou 10 mâles, et il est impossible de savoir à l’avance quelle sera l’entente, à l’âge adulte, d’un duo de jeunes mâles achetés au sevrage : deux crias super copains pourront devenir très agressifs l’un envers l’autre une fois les hormones activées.
  • pour réduire les pratiques, si fréquentes, de croisements hasardeux entre alpagas achetés à droite et à gauche, sans souci de qualité, de génétique, de possible consanguinité : on assiste au développement anarchique d’un cheptel national d’animaux affaiblis génétiquement, porteurs de tares et de soucis de santé, à la longévité réduite, trop souvent imprégnés (par bêtise ou méconnaissance), non déclarés et sans suivi sanitaire, qui se retrouvent bradés sur des sites comme le Bon Coin (en pseudo « don gratuit »), et même abandonnés dans des refuges.
  • pour éviter les saillies accidentelles trop fréquentes et souvent consanguines
  • pour maintenir une plus grande finesse de fibre dans le temps (il est reconnu maintenant que la castration fait perdurer la finesse et le caractère des toisons)

Précisons que l’argument « pour pouvoir laisser le mâle avec les femelles » est réfutable, car sauf exception, un mâle castré ne doit pas vivre avec des femelles si on veut respecter l’intégrité de celles-ci (voir ci-dessous)

Quels sont les obstacles à la castration ?

– les mentalités : sensibilité de l’éleveur/du propriétaire qui refuse de porter atteinte à l’intégrité de son mâle entier (sans se projeter pour prendre en compte les effets positifs pour sa vie future).
Il est compréhensible pour un éleveur d’hésiter à castrer un mâle à fort potentiel, mais il doit dans ce cas le valoriser et le vendre comme tel à un éleveur, pas le brader au premier venu pour vider son pré pour les crias suivants !

– la disponibilité (et parfois la volonté) des vétérinaires et les prix parfois très élevés demandés pour castrer

– la demande d’entiers pour la repro « de loisir » : beaucoup de particuliers ou de fermes pédagogiques tiennent à acheter des mâles entiers parce que derrière il y a l’objectif, avoué ou non, de « faire des bébés » pour amuser les enfants et les visiteurs

– une vision encore négative de l’alpaga ou du lama castré : dans l’esprit de la plupart des gens, un mâle castré est forcément un mauvais animal, castré à cause d’un défaut.

A quel âge castrer ?
La question a longtemps été débattue, il semblerait que maintenant les opinions se rejoignent à l’échelle mondiale : l’âge de castration idéal est entre 10 et 18 mois, avant la montée de testostérone menant à la maturité sexuelle et la pousse des dents de combat, mais après une croissance suffisante pour éviter certains soucis.

La castration précoce, dès 6-8 mois, est admise par certains et ne semble pas être associée à des soucis de santé majeurs. Elle est même conseillée pour les cas problématiques (comme les mâles imprégnés qu’on cherche à sauver). Cependant le développement musculo-squelettique peut être perturbé (particulièrement pour les lamas), et la castration précoce pourrait également créer des soucis urinaires futurs : une durée insuffisante d’influence de la testostérone peut limiter le développement du diamètre de l’urêtre. Attendre l’âge de 12 mois minimum semble le plus raisonnable pour les alpagas, voire davantage pour les lamas.

La castration tardive, après 18 mois, permet de réduire fortement les risques de bagarre entre mâles, mais attention : si l’instinct territorial tend à disparaître, le réflexe de saillie reste souvent intact, ces mâles castrés tard ne doivent donc pas se retrouver à vivre avec des femelles, qu’ils risquent de harceler.
Plus la castration est tardive, plus le comportement social est gravé dans le mâle et moins la castration est susceptible de modifier profondément son comportement dans le groupe.

Mais ce sont des généralités : chaque animal est différent et dans la réalité on trouve toutes les situations possibles à tout âge. Il faut simplement savoir ne pas courir de risque inutilement et castrer tôt dès qu’un mâle n’a pas la qualité suffisante pour faire un bon reproducteur ou qu’on lui propose une vie de loisir, et castrer même tardivement un mâle trop territorial pour lui donner une chance de mener la vie grégaire dont il a besoin.

Quelles sont les techniques de castration ?

Plusieurs méthodes sont utilisées.
Bien que ce soit la pratique la plus courante en France, l’anesthésie générale n’est pas indispensable, sauf peut-être pour certains lamas ou pour des individus particulièrement grands et/ou difficiles à maîtriser (par pure sécurité pour les intervenants).
Dans tous les cas, une anesthésie locale est bien sûr pratiquée.

a- Mâle couché avec anesthésie générale + locale
Avantages :

– le mâle est endormi et entravé, le vétérinaire peut le positionner comme il le souhaite et travailler sereinement
– sécurité assurée pour tous les intervenants
– le cordon testiculaire n’est pas en tension donc la castration à testicule couvert est possible (douleur post-opératoire réduite et moins de risque d’infection)
Inconvénients :
– le risque anesthésique
– la nécessité de locaux propres puisque le travail se fait par terre
– la nécessité de bien maîtriser les protocoles d’anesthésie spécifiques aux petits camélidés
– la complication que présente la toison d’un animal non tondu
– le réveil difficile

b- mâle couché sans anesthésie générale (système de contention de la tonte) + anesthésie locale
Avantages :

– risque de l’anesthésie générale supprimé
– pas de problème de réveil
– sécurité des intervenants assurée une fois le mâle en contention
Inconvénients :
– avoir le matériel de contention et savoir coucher un mâle (compliqué pour les lamas)
– tension du cordon testiculaire qui oblige à faire la castration à testicule découvert (douleur post-opératoire plus grande et plus de risque d’infection)
– la complication que présente la toison d’un animal non tondu

c- mâle debout, avec sédation légère + anesthésie locale
Avantages :

– suppression du risque de l’anesthésie générale et du réveil difficile
– intervention à testicule couvert, plus rapide et plus simple pour le vétérinaire
– risque réduit d’infection et d’hémorragie
– moins de douleur post-opératoire
Inconvénients :
– davantage de risques si l’alpaga a des réactions imprévisibles
– la nécessité de bien maîtriser les protocoles de sédation

Dans tous les cas une surveillance attentive est nécessaire les jours suivants.
Le scrotum doit être soigneusement protégé des mouches et il faut veiller à veiller à l’absence de saignement, de gonflement ou d’infection.
Un anti-inflammatoire est indispensable, l’antibiotique à discuter avec le vétérinaire.

La récupération lors d’une castration debout est étonnamment rapide.
Elle est plus longue (plusieurs heures) lors d’une castration couchée en contention, car la tension sur les tissus augmente la douleur post-opératoire.
Pour la castration avec anesthésie générale, outre le risque de l’anesthésie, la phase de réveil est parfois difficile et stressante à gérer.

@Christel Chipon
Alpagas de KerLA – juin 2024
Texte et photos

 

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Éthique et castration

Comme chaque année à cette saison, le vétérinaire est venu mi-novembre castrer un groupe de jeunes mâles destinés au loisir.
C’est une intervention brève, qui se réalise sur l’alpaga debout, légèrement sédaté et avec anesthésie locale. Un antidouleur/anti-inflammatoire et un antibiotique préventif (pénicilline) sont administrés avant l’intervention.
Certains mâles montrent un peu d’inconfort pendant quelques heures après dissipation de l’anesthésie locale, mais au bout de 24h ils sont revenus à leur comportement normal, tout est oublié.

Après quelques jours de surveillance de la cicatrisation, ils pourront partir comme alpagas de compagnie faire le bonheur de leur nouvelle famille sans développer, en arrivant à l’âge adulte, les comportements bagarreurs parfois très violents typiques des mâles entiers. Et, en bonus, leurs dents de combat ne se développeront pas, ce qui supprime également un souci majeur pour le propriétaire qui n’a pas toujours un tondeur ou un vétérinaire prêt à limer ces crocs potentiellement dangereux qui sortent à partir de 24-30 mois sous l’effet des hormones.

Alors pourquoi si peu d’éleveurs proposent-ils des mâles castrés ?
La réponse est évidente : un mâle ne doit pas être castré avant ses 12 mois au minimum, voire plus si son développement est jugé insuffisant. Donc castrer sur l’élevage représente un délai de mise en vente considérable, un coût et une prise de responsabilité que peu d’éleveurs ont envie d’assumer.
Et d’une certaine manière c’est hélas compréhensible, puisque un mâle castré de 15 mois sain, suivi et bien éduqué ne se vend pas mieux ni plus cher qu’un cria de 6 mois tout juste sevré et non éduqué… Pour ceux que l’éthique n’étouffe pas, le calcul de rentabilité est vite fait, d’autant que souvent l’objectif est de vendre les crias au plus vite afin de vider les prés pour la tournée suivante ! Alors pensez-vous, il faut être stupide pour garder des jeunes jusqu’à 14/18 mois en moyenne, investir de l’argent et beaucoup de temps pour les nourrir, les soigner, les éduquer, les castrer. Sans parler de la responsabilité que cela représente, car le risque de perte n’est pas inexistant pendant ces mois de croissance du jeune mâle.
Tout ça pour au final les vendre au même prix que le cria de 6/8 mois, voir moins, parce que (et c’est ubuesque) beaucoup d’acheteurs considèrent alors que le mâle étant castré ne vaut plus rien puisqu’il n’a plus de potentiel reproducteur…

Et je ne parle pas des pseudo-éleveurs qui arrachent le cria sous la mère sans sevrage, sans certificat vétérinaire, sans puçage évidemment, et le déposent manu militari dans la fourgonnette de l’acheteur contre espèces sonnantes et trébuchantes. Ni vu ni connu, pas de traçabilité, aucune responsabilité vis-à-vis de l’acheteur puisque ni contrat ni facture… Tout bénéf’. Alors castrer, pensez-vous, quelle idée stupide !

Et bien sûr pour contrer ceux qui préconisent de castrer les alpagas destinés au loisir chez des particuliers ou pour des activités de visite ou de médiation, certains argumentent que garder les mâles entiers ne pose pas de souci, que « chez eux », il n’y a aucun problème, que leurs clients n’en ont jamais eu non plus.
Ben voyons…
Sauf que des témoignages ces clients qui se retrouvent embarrassés par leurs mâles entiers devenus violents entre eux (voire vis-à-vis de l’humain car imprégnés car vendus trop jeunes sans les conseils d’éducation adaptés), j’en ai accumulé un bon paquet, c’est très loin d’être rare mais silence, il ne faut pas en parler, c’est pas bon pour le business.
A moins d’avoir un groupe important dans lequel l’agressivité est généralement diluée par le nombre, garder des mâles entiers adultes en duo ou trio génère souvent, tôt ou tard, des risques de bagarres impressionnantes et de blessures.

Et puis l’éthique de l’élevage, c’est aussi d’écarter de la reproduction des animaux porteurs de défauts congénitaux, de problèmes morphologiques sérieux (aplomb, dentition), voire de problème comportementaux (le tout souvent lié à de la consanguinité non contrôlée). Et on assiste au contraire à une course à la stupidité : puisque ce mâle a des défauts, on va brader son prix, donc surtout pas s’embêter à le castrer avant… Et le résultat, c’est que ce mâle se retrouvera à saillir des femelles à la chaine (regardez sur le Bon Coin les mâles proposés à la saillie par des particuliers ou pseudo-éleveurs… C’est à frémir).
L’autre jour je suis tombée, sur FB, sur les photos d’un type qui s’amuse à élever : il fait faire des crias à une malheureuse femelle affligée de « wry face », un souci congénital qui condamne le plus souvent le cria, incapable de se nourrir correctement. Cette femelle a eu la chance de survivre à cette difformité, mais en aucun cas elle ne devrait reproduire : l’hérédité de ce type de souci est avéré, cela ne ressortira pas forcément dans chaque cria, mais ils seront porteurs, et diffuseront le défaut à leur tour 🙁

Plus ça va, plus les gens s’improvisent éleveurs sans la moindre connaissance solide sur les alpagas et leurs particularités, et plus on voit des situations dramatiques. Mais bien sûr dès qu’on essaie d’en parler et d’avancer la notion d’éthique, on nous balance que notre seul but est en réalité de protéger notre marché : castrer un mâle, c’est éviter qu’il reproduise chez quelqu’un d’autre.
Ben… Oui, c’est exact, et ça fait partie de l’éthique de l’éleveur et de son sens des responsabilité d’agir ainsi, comme dans le monde des chiens, des chats ou des chevaux !
Si je juge qu’un mâle peut faire un bon reproducteur, il est vendu comme tel, et au prix d’un bon reproducteur, c’est simple, parce que j’ai investi de l’argent pour acheter des parents de qualité et gérer mes animaux au mieux sans lésiner sur les coûts d’élevage.
Si je juge que ce mâle n’est pas assez bon pour reproduire, ou qu’il n’y a pas assez de demandes d’éleveurs sérieux pour lui assurer une carrière dans un élevage correct, en effet il sera castré et vendu (à prix plus bas, souvent à perte hélas) comme alpaga de loisir. Mais en aucun cas il ne sera vendu entier à petit prix juste pour vider le pré,

L’éleveur qui brade ses mâles entiers, bons ou pas, scie la fragile branche sur laquelle il a déjà du mal à se tenir en équilibre : la plupart des acheteurs particuliers, des fermes pédagogiques, des pseudo-éleveurs qui veulent faire reproduire se fichent souvent de la qualité et de la génétique (et j’en ai eu quantité au téléphone ou dans des échanges par mail au fil des années) : ils veulent juste un mâle pas cher et des femelles encore moins cher pour produire des crias pas cher.
Et le cercle vicieux continue et la situation s’aggrave, et les alpagas en paient les conséquences…

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